Dans la première partie de cet
article, nous avons dégagé les différents
éléments qui composent une Aventure (ou
un Épisode, une Histoire ou encore un Scénario,
selon le jeu auquel vous jouez), et quel est leur rôle.
Cette fois, nous regarderons de plus près la
manière dont ces éléments s'imbriquent
pour former la structure globale d'une intrigue. Tout
d'abord, je considérerai l'intrigue, en tant
que structure logique construite étape par étape,
et ses relations avec l'action de la partie. Puis je
m'intéresserai aux éléments qui
tournent autour de la partie : la relation entre
l'intrigue et la situation dramatique qu'elle crée
à la fois pour les joueurs et pour les personnages.
Ces deux idées seront traitées sous la
forme de deux structures organisationnelles : l'Organigramme
de l'Action et les Arcs de Tension.
La structure d'une aventure possèdes des ressemblances
avec les structures de la littérature traditionnelle
et du théâtre. La différence est
que le jeu de rôle a l'avantage d'être interactif.
L'audience, traditionnellement passive, peut participer
activement à l'histoire, et la changer. Le jeu
de rôle tend également à être
plus orienté vers l'intrigue que le théâtre
et la littérature moderne. C'est le résultat
de la nature temporelle du personnage dans un jeu de
rôle. Je veux dire par là que les personnages
ne sont pas habituellement prédéfinis
par le "créateur" de l'histoire en
vue de coller à l'intrigue et de la servir ;
mais ils sont plutôt créés indépendamment.
Malgré ces différences, nous pouvons quand
même emprunter un grand nombre d'idées
aux formes d'art "statiques". Tout ce que
nous devons faire, c'est les aborder de manière
à produire une structure interactive basée
sur l'intrigue, qui permette à des personnages
indépendants d'agir de manière imprévisible.
Comme je l'ai mentionné plus haut, il y a
deux structures qui permettent d'organiser l'intrigue.
J'aime les appeler l'Arc de Tension et l'Organigramme
de l'Action. Elles coexistent souvent l'une avec l'autre,
mais pas nécessairement. L'organigramme présente
les relations pratiques de l'action en cours (c'est-à-dire
le développement séquentiel d'une intrigue).
L'arc de tension se focalise sur les relations abstraites
entre les éléments au sein de l'intrigue.
Par abstraites, j'entends ces éléments
d'une partie de jeu de rôle qui ne sont pas immédiatement
tangibles à l'intérieur d'une séquence
d'événements ? des éléments
dramatiques créés par l'interaction des
joueurs avec l'intrigue. Ce sont essentiellement le
rythme, le ton et, surtout, la tension.
L'Organigramme
de l'Action
L'organigramme
est composé du positionnement chronologique des
événements de votre partie. Certains événements
se produisent à certains moments ou pendant certaines
séquences, et les personnages peuvent changer
ou stopper ces événements et ces séquences
par leurs actions. Partant de là, l'organigramme
est, en fait, double ? une partie reflétant
l'intervention des joueurs, et l'autre représentant
les événements non modifiés par
les joueurs.
L'arc de tension
réclame simplement que les événements
se produisent dans un ordre dramaticalement approprié.
Peu importe le moment où les joueurs déclenchent
l'événement A, tant qu'il contribue de
manière convenable à la progression de
l'atmosphère dramatique de la partie. L'organigramme,
lui, réclame que l'événement A
soit précédé par l'événement
B et suivi par l'événement C. Tout en
étant une structure terriblement rigide à
cause de cela, un organigramme donne une bonne vue d'ensemble
de ce qui arrive sans l'intervention des joueurs (ou
avec une intervention inappropriée, ou ayant
échoué) à chaque étape de
l'aventure. Ce qui, en soi, est une information très
utile à posséder, surtout lorsque l'on
suit des actions complexes de PNJ. Mais l'organigramme
fait encore plus que cela.
Dans l'article
précédent, j'ai parlé des directions
variées qu'une aventure peut prendre lorsque
les joueurs interagissent avec elle. L'organigramme
est une structure qui peut aider le créateur
de scénario à ré-estimer les issues
potentielles des divers événements, au
niveau de l'effet qu'ils ont sur l'intrigue globale.
Voilà, par exemple, la forme que peut prendre
un organigramme :
Situation de départ
|
Action 1
|
Résultat 1
|
Nouvelle Situation
Situation de départ
|
Action 1
|
Résultat 2
|
Situation Alternative
Situation de départ
|
Action 2
|
Résultat 3
|
Situation alternative
Pour utiliser
un exemple concret, mettons que la situation de départ
soit "la maison des PJ va être démolie".
L'Action 1 pourrait être "arrêter les
démolisseurs", l'Action 2 pourrait être
"sauver les biens de valeur avant le début
de la démolition". Les Résultats
1 et 2 seront simplement "Réussite des PJ"
ou "Échec des PJ", le Résultat
3 sera "les PJ arrivent à sortir quelques
objets".
La Nouvelle Situation
sera peut-être "les PJ sont agressés
verbalement par le Maire", alors que la Situation
Alternative sera "les PJ ont besoin d'une nouvelle
maison". Toutefois, même si elle aboutit
à une situation identique, l'Action 2 a eu une
issue différente de l'Action 1, qui a échoué
(c'est-à-dire "les personnages n'ont que
les objets qu'ils ont sauvés"). Maintenant,
supposons qu'il y ait quelque chose dans la maison dont
les joueurs ont besoin pour progresser dans l'intrigue ;
le deuxième organigramme est faussé, car
la maison, et probablement l'objet, est perdue pour
toujours.
Ainsi, en faisant
un organigramme, nous pouvons avoir une idée
de l'endroit où les diverses actions prévues
mèneront les joueurs. Néanmoins, dans
la vie réelle, il est impossible de vraiment
prévoir les actions des joueurs, et tenter sans
cesse d'y parvenir créera très probablement
une partie dirigiste. Ce que nous devons faire dès
lors, c'est poser la situation, puis déterminer
son issue sans l'intervention des PJ (ou avec une intervention
ratée), et comment les PJ peuvent l'altérer.
De là, voici un exemple meilleur de cet organigramme :
Situation Situation
| |
Résultat inchangé Nouveau Résultat
| |
Nouvelle Situation Situation Alternative
Le premier organigramme
est la séquence originelle des événements,
sans intervention réussie de la part des joueurs.
Dans l'exemple ci-dessus, l'issue inchangée est
"maison et objet sont démolis". Le
Nouveau Résultat est "l'objet n'est pas
enterré sous la maison" (c'est l'issue privilégiée
par l'aventure), quel que soit le moyen qu'ont utilisé
les joueurs pour y parvenir ? que ce soit en ayant arrêté
la démolition, en ayant préalablement
sauvé l'objet, ou par une idée tout à
fait nouvelle à laquelle vous n'aviez pas pensé.
L'organigramme de gauche peut alors mener à une
manière d'avancer dans l'intrigue sans l'objet,
ou bien la Nouvelle Situation peut simplement être
modifiée pour que l'objet soit encore disponible
(quoiqu'il faille creuser sérieusement pour l'obtenir).
En utilisant ce
modèle, vous pouvez identifier clairement les
événements qui sont hors de contrôle
des joueurs, et ceux qu'ils peuvent changer. Par exemple,
les démolisseurs se pointeront toujours, peu
importent les protestations des joueurs au conseil municipal.
Cela est parfait, car cela nous permet de repérer
les endroits où les PJ peuvent n'avoir que peu
(ou voire même trop) de contrôle sur les
événements.
De plus, nous
pouvons identifier les conséquences des échecs
des joueurs à accomplir certaines tâches,
résoudre l'énigme, ou réussir le
test de compétence. Dans l'exemple ci-dessus,
si un objet qui est dans la maison est indispensable
et que la maison est détruite avant qu'il ne
soit récupéré, il y a là
une faille évidente qui peut faire dérailler
l'aventure entière. Généralement,
nous pouvons remédier facilement à cela,
mais avec un organigramme, il est bien plus facile de
repérer cette sorte de détails et de les
gérer. Cela encourage aussi la conception d'aventures
où il y a bien moins de goulots d'étranglement
de ce genre, et bien plus de choix disponibles pour
les PJ. Si l'aventure peut fonctionner différemment
tout en étant aussi distrayante avec ou sans
l'objet, les joueurs auront plus de liberté pour
façonner eux-mêmes l'histoire.
Bien sûr,
cet exemple peut sembler évident, car j'ai utilisé
un exemple tout bête, mais avec des intrigues
et des structures événementielles plus
compliquées, il devient rapidement vital d'organiser
tous les événements dans l'ordre dans
lequel ils se produisent pour que la situation devienne
claire. Tout spécialement quand le scénario
que vous écrivez met en scène des PNJ
qui agissent indépendamment des PJ (des adversaires
importants, par exemple). Ce que font de tels personnages
à différents moments de la partie se voit
facilement sur un organigramme, et donne au MJ des idées
sur le moment où les effets de ces actions doivent
être insérés dans le jeu. Cela vous
permet également de voir à quel point
leurs plans peuvent être modifiés par les
PJ, et à quel point les mêmes plans peuvent
forcer les PJ à changer de direction.
La faculté
principale de l'organigramme, c'est la simplification.
Il met vraiment en évidence les événements
qui surviennent à la fois avec ou sans l'intervention
des joueurs. Il montre clairement l'ordre dans lequel
les choses devraient arriver, et par là met en
évidence les difficultés qui peuvent en
surgir (et la façon dont les joueurs pourraient
en diverger). Il met la partie entière en perspective,
montrant quels événements peuvent être
influencés par les joueurs, et ceux qui ne le
peuvent pas, aussi bien que les endroits où il
y a des défauts dans le scénario ou dans
la logique de l'histoire ? là où
A ne mène pas logiquement à B, ou n'y
mènera probablement pas. Il vous permet également
de déterminer exactement le moment où
ont lieu les événements "hors champ"
comme les actions des PNJ, ou bien de suivre les PJ
le long d'un axe chronologique lorsque le timing devient
important. Par-dessus tout, la nature visuelle du schéma
rend l'information plus rapide et plus facile à
saisir.
L'Arc
de Tension
En plus de la
progression logique de l'intrigue, il faut aussi prendre
en compte la progression de la situation dramatique,
et c'est là le rôle de l'Arc de Tension.
Le concept d'Arc de Tension est emprunté en particulier
au théâtre, même si, à un
degré moindre, on peut le retrouver en littérature.
C'est simplement l'idée que la tension grimpe
et dégringole tout au long de la pièce,
ou de l'aventure. Les scènes de meurtres d'un
tueur en série deviennent progressivement plus
étranges et plus choquantes ; les pages
d'un journal intime trouvées dans la carcasse
d'un vaisseau dérivant dans l'espace deviennent
de plus en plus confuses et désespérées ;
la férocité toujours croissante et le
nombre de monstres sans cesse plus élevé
dans les jeux de type "Hack & Slash", au fur et à mesure
que les aventuriers se rapprochent de leur but ;
voilà des exemples de l'Arc de Tension en action,
quoique sous une forme très simple.
Il est nécessaire
d'étudier l'Arc de Tension, car la tension est
le pivot de l'histoire, tout particulièrement
dans une histoire interactive comme le jeu de rôle.
C'est la tension au sein d'une histoire qui rend l'histoire
prenante pour l'auditeur ou le participant. Ou plutôt,
c'est la manière dont la tension est transmise ?
la quantité de tension qui est passée
à l'auditeur ou au joueur. De la même façon
qu'un bon conteur peut vous faire ressentir l'histoire
comme si vous y étiez, et qu'une bonne pièce
de théâtre peut faire partager aux spectateurs
les sentiments des personnages sur scène, une
bonne conception d'aventure devrait donner au MJ le
pouvoir de faire sentir aux joueurs qu'ils font vraiment
partie de l'action. La clé pour y arriver, c'est
d'être conscient de la tension dans l'intrigue
projetée, et de la façonner pour correspondre
à ce que vous essayez de faire.
La tension est
aussi au c?ur du principe d'attente dramatique. L'attente
dramatique, c'est la raison pour laquelle les aventuriers
décident d'affronter le démon dont ils
ont échoué à empêcher l'invocation,
plutôt que de fuir pour sauver leur peau comme
n'importe quelle personne sensée le ferait. Plus
il y a de tension dans une histoire, plus les événements
devront aller droit à leur conclusion naturelle.
Foncièrement, la somme de tension menant au paroxysme
d'une histoire explique pourquoi les personnages n'abandonnent
pas à la moitié du chemin. Et faire que
les événements aillent à leur conclusion
naturelle, voilà ce qu'est vraiment la conception
de scénario.
Vous devez aussi
veiller à varier les niveaux de tension pour
que le tout reste intéressant. La lente transformation
d'une scène de tous les jours en montagnes russes
mortelles est l'étoffe dont est faite une bonne
pièce (et une bonne partie de jeu de rôle).
Il est également important de savoir quand et
comment faire baisser la tension. Garder les personnages
(et les joueurs, d'ailleurs) dans un état de
grande tension en les projetant dans des situations
sans cesse plus intenses a pour effet secondaire de
les habituer à de telles situations, et de diminuer
leur efficacité. Après tout, une fois
que vous avez vu une horreur tentaculaire et séculaire
se relever de son tombeau maritime, vous les avez toutes
vues.
Comme vous avez
pu le comprendre à présent, la tension,
d'après mes définitions, fonctionne en
vue de deux buts différents, et opère
à deux niveaux. D'un côté, c'est
le ton et le rythme immédiats de l'action en
cours, une qualité qui change assez rapidement
pour garder les situations intéressantes et variées.
De l'autre, c'est une accumulation lente qui est bâtie
au fur et à mesure qu'une aventure se rapproche
de son paroxysme. À partir de maintenant, je
me réfèrerai à ces deux niveaux
de tension en les appelant tensions à court et
à long terme.
Tandis que la
tension immédiate d'une scène fluctue
pour conserver l'intérêt de l'histoire,
la tension à long terme réclame que la
tension générale se construise lentement,
tout du long, afin d'atteindre un paroxysme efficace
à l'approche de la fin. Dans un contexte théâtral,
cette tension générale n'est expérimentée
de manière consciente que par le public (car
les personnages ne sont pas conscients de faire partie
d'une intrigue). Comme les joueurs sont en réalité
le public dans une partie de jeu de rôle, la tension
à long terme passe par eux avant de passer lentement
dans leurs personnages. Alors que Joe le Personnage
est déterminé à tuer son ennemi
juré pour venger sa famille, Joe le Joueur le
fera parce que tuer l'ennemi juré est un élément
de l'intrigue qui l'a placé dans des situations
de plus en plus tendues, et qu'il veut un peu de catharsis.
Joe le Joueur ne s'intéresse à la vengeance
de Joe le Personnage que jusqu'à un certain point.
Il ne risquera vraisemblablement pas les dix niveaux
d'expérience de Joe le Personnage pour accomplir
son but. Cependant, la promesse d'un relâchement
de la tension est bien plus importante pour le joueur,
et est donc un objectif plus attractif.
La tension à
court terme, d'un autre côté, est simplement
le degré de tension auquel les événements
actuels se passent. Il est constitué selon l'idée
ci-dessus que le niveau relatif de tension doit changer,
et souvent, pour qu'il ne tombe pas à plat et
ne perde pas son efficacité. Il est représenté
uniquement pour refléter le changement nécessaire
de ton et d'ambiance. Alors que les circonstances dans
lesquelles se retrouve Joe le Personnage doivent devenir
progressivement plus tendues, la tension immédiate
ressentie par Joe le Joueur doit être maintenue
à un niveau variable et gérable, pour
qu'il ne s'en désintéresse pas ou que
la tension ne s'épuise pas. La tension à
court-terme existe donc pour le bénéfice
de Joe le Joueur (comme la tension à long terme),
mais vise principalement Joe le Personnage (au contraire
de la tension à long terme).
Les niveaux de
ces deux types de tension sont contrôlés
par des choses légèrement différentes
pendant une partie. En rendant plus intenses la situation
et les circonstances dans lesquelles se trouvent personnages
et joueurs, on augmente la tension à long terme.
En enlevant une partie de la tension de la scène
(d'ordinaire en y mettant un paroxysme), on réduit
ce type de tension, et on laisse les joueurs se détendre.
En minutant les événements à l'intérieur
d'une scène pour que chacun soit plus tendu que
le précédent, on augmente les niveaux
de tension à court terme. D'un autre côté,
en plaçant des événements plus
détendus entre ceux chargés de tension,
on peut abaisser la tension à court terme pour
ne pas exagérer et perdre l'effet recherché.
La tension à
long terme, donc, reflète les circonstances et
l'"ambiance" de chaque partie de l'aventure,
tandis que la tension à court terme est révélatrice
de la montée ou de la descente graduelle de la
tension. Bien sûr, garder la trace de ces deux
niveaux de tension tout en les reliant l'un à
l'autre ainsi qu'aux événements, scènes
et paroxysmes de votre aventure, peut s'avérer
plutôt complexe.
C'est là
qu'intervient l'arc de tension. C'est un outil pour
surveiller, et contrôler, les deux niveaux de
tension à la fois. Un arc de tension est généralement
purement abstrait, et rarement représenté
visuellement ; c'est davantage un concept à
garder en tête lors de la création de votre
aventure. Mais il est possible ? et très
pratique ? d'attribuer des valeurs numériques
brutes pour suivre les niveaux de tension des événements
que vous voulez faire survenir. Créons, pour
donner un exemple, une échelle allant de 1 à
10 pour la tension à court terme (1 étant
le minimum de tension, et 10 le maximum) :
- Avaler son
petit-déjeuner, faire de la paperasse, bavarder
avec des amis, etc. (activité banale et quotidienne).
- Recevoir
/ trouver un objet insolite, entendre un bruit étrange.
- Se disputer,
se faire voler quelque chose.
- Découvrir
le cadavre d'un étranger, être engagé
dans un combat non mortel, retrouver son appartement
sens dessus dessous.
- Rencontrer
/ voir des créatures / des événements
extraordinaires (extraordinaires selon le contexte,
s'entend).
- Être
engagé dans un combat mortel, découvrir
le cadavre d'un ami, découvrir le cadavre
mutilé d'un étranger.
- Interagir
avec un événement / une créature
dérangeante (peut-être lors d'un combat),
déclencher un piège mortel.
- Faire face
à un obstacle majeur, accomplir des actions
dont dépend sa vie, échapper à
des situations mortelles.
- (pareil que
8 ; la plupart des mini-paroxysmes sont de
niveau 8 ou 9).
- Essayer de :
détruire l'Étoile de la Mort ;
occire le Dragon / l'Alien / Cthulhu ;
insérez ici un paroxysme majeur approprié.
Vous remarquerez
que j'ai attribué les scores élevés
pour les situations qui sont potentiellement dangereuses,
et les scores encore plus élevés pour
les situations qui représentent une menace immédiate,
et où les difficultés semblent insurmontables.
Les événements en haut de l'échelle
sont également plus inhabituels / anormaux que
leur contrepartie en bas de l'échelle. Vers l'extrémité
haute de l'échelle, le système est plus
hésitant au fur et à mesure que les événements
deviennent dépendants de circonstances spécifiques.
Cela devient difficile de décrire et de classer
de tels événements, car ils perdent toute
signification hors de leur contexte. Comme il existe
deux niveaux de tension à surveiller, nous avons
besoin de deux échelles. Celle donnée
ci-dessus reflète des événements
ou des déclencheurs relativement courts, et qui
peuvent changer sur-le-champ la tension en cours. La
tension à long terme, elle, tourne autour de
situations plus tendues. Cette échelle pourrait
donc ressembler plus à cela :
- Un dimanche
matin tranquille, à la campagne.
- Une rue très
fréquentée durant l'heure de pointe.
- Comme en
2, mais en retard pour une réunion.
- Comme en
2, mais en essayant de semer quelqu'un, peut-être
dangereux.
- Près
d'un temple aztèque, la nuit, avec des incantations
au loin.
- Au beau milieu
d'une zone de conflit, pendant un bref cessez-le-feu.
- Dans une
pièce, avec un monstre très méchant
qui dort (peut-être un dragon, ou un Dieu
Très Ancien).
- Au beau milieu
d'un champ de bataille, pendant un combat acharné.
- Dans une
cave totalement dans le noir, avec le plafond qui
s'écroule tout autour de vous.
- Être
enfermé dans la même pièce d'un
monstre très méchant, éveillé.
Dans ce cas, les
circonstances, comme les ténèbres ou un
bruit menaçant, ont un score plus élevé
que les situations similaires situées dans un
environnement moins dangereux ; de tels environnements
jouent sur l'imagination et sur l'attente des joueurs,
et c'est ce qui fait la vraie substance de la tension
à long terme. Les situations qui présentent
des menaces personnelles ont également un score
plus élevé que des dangers plus impersonnels,
sur la base que le danger est moins abstrait, et donc
moins tangible.
Pour des raisons
de simplification, j'ai principalement utilisé
le danger pour établir l'échelle, pour
vous donner une idée de la façon dont
les différents nombres peuvent se traduire pour
la partie. Évidemment, le danger n'est pas la
seule source de tension, mais c'est celle qui se traduit
le plus aisément sur une échelle. Parmi
les autres sources de tension, citons le conflit (comme
un conflit d'intérêts entre PJ et PNJ ?
commun dans les jeux à la Machaviel), le temps
limité (les PJ jouent contre la montre ?
la tension grimpe au fur et à mesure que le temps
diminue), les conséquences d'un échec
(la destruction de l'humanité telle que nous
la connaissons, la mort de milliards de personnes ?
un grand classique de la science-fiction), des restrictions
soudaines (être enfermé, avoir sa carte
de crédit annulée ? particulièrement
utile dans les jeux de conspirations), chances de succès
très minces ("ne tirez pas avant de voir
le blanc de leurs yeux" ? un classique dans
les campagnes militaires ou médiévales-fantastiques).
Comme vous pouvez
le voir, il y a une pléïade de manières
de créer la tension. Lorsque vous choisissez
la façon de provoquer la tension dans une partie
précise, et que vous essayez de définir
le degré d'efficacité de tel ou tel procédé,
il est important de garder en tête des choses
comme le ton et le genre de l'aventure, l'état
d'esprit des joueurs, et l'expérience des personnages.
Par exemple, un groupe à la gâchette facile
dans une campagne de type hack-n-slash ne tressaillira
pas dans la plupart des situations de combat, et un
groupe de personnages soldats sera désensibilisé
de manière similaire à la violence. Tous
cela signifie que les listes ci-dessus ne peuvent pas
être appliquées dans tous les cas ;
chaque MJ et chaque partie a besoin d'une liste qui
leur soit propre.
Et cela ne prend
même pas en compte les caprices inévitables
des perceptions des joueurs. Mais même si vous
ne pouvez empêcher les joueurs de mal interpréter
certains événements, qui produiront des
effets différents de ce que vous désiriez
à l'origine, il est quand même très
utile de développer un arc de tension. Il vous
aidera à cristalliser dans votre tête ce
que vous essayez de faire avec chaque événement
pris séparément, et avec chaque séquence
d'événements. Ainsi, en écrivant
effectivement cet événement, vous pouvez
identifier ce que vous essayez de produire dans cette
partie de l'aventure, et créer des événements
appropriés. De cette manière, vous pouvez
faire tout ce qui est possible pour installer la bonne
sorte de tension, et ainsi réduire les éléments
d'une importance moindre au minimum.
Prenons un exemple.
Quand vous faites monter la tension à l'intérieur
d'une scène, chaque événement doit
avoir un niveau de tension à court terme égal
ou supérieur au précédent. Construire
la tension : voilà notre but pour cette
scène. Donc, mettons que les joueurs ont trouvé
un cadavre dans une maison qu'ils étaient en
train d'explorer (la tension à court terme est
environ de 4, et la tension à long terme est
probablement remontée à 4 également).
Nous voulons rapidement tranformer la tension en paroxysme.
Nous faisons donc s'éteindre les lumières
(la tension à court terme passe à 5),
et les joueurs commencent à entendrent des bruits
forts venant de l'intérieur de la maison (la
tension à long terme passe à 5, car il
fait désormais noir et quelque chose se trouve
là, peut-être le tueur). La chasse à
l'aveuglette de la source du bruit se poursuit tandis
que la tension à long terme se construit et alors,
un des joueurs l'aperçoit (la tension à
court terme saute rapidement à 6 lors du combat
qui en résulte et, si quelqu'un meurt, à
7, bien que la tension à long terme reste probablement
aux alentours de cinq). La bête est finalement
vaincue, et un mini-paroxysme est atteint. La tension
à court terme retombe rapidement à 3-4
tandis que les PJ examinent les deux cadavres (actions
moins tendues que le combat auquel ils viennent de survivre).
La tension à long terme peut baisser légèrement
(peut-être à 4), mais reste élevée,
car la situation en général est encore
passablement tendue.
Comme vous le
voyez, lors de la construction de la tension, les deux
niveaux de tensions restent plus ou moins les mêmes,
mais la tension à long terme redescend de plus
en plus au fur et à mesure que l'on se rapproche
du paroxysme. Inversement, pendant la réduction,
la tension à long terme ne descend jamais plus
bas que celle à court terme (reflétant
ainsi la montée générale de l'arc
de tension à long terme). Pour parler plus largement,
l'échelle de la tension à long terme n'est
réellement basse (de 1 à 3, au niveau
des événements de tous les jours) qu'au
début de la partie, ainsi qu'après les
paroxysmes les plus importants. Parce qu'elle reflète
la tension générale de la partie, on ne
devrait jamais lui permettre de retomber complètement.
Comme la distinction entre joueur et personnage n'est
pas aussi nette que dans d'autres formes de contes,
les deux niveaux tendent à flotter l'un près
de l'autre vers les deux extrémités du
spectre ? des joueurs tendus jouent généralement
des personnages tendus.
Tout comme les
événements à l'intérieur
d'une scène doivent progressivement devenir de
plus en plus intenses, chaque paroxysme de l'aventure
doit être plus fort que le précédent.
Les moments les plus élevés de l'action
doivent toujours aller en croissant, pour ne pas devenir
inefficaces et anti-paroxysmiques. C'est la raison pour
laquelle de nombreux mini-paroxysmes commencent avec
des niveaux bas, tout juste annonciateurs des événements
à venir. Pour réemployer l'exemple précédent,
notre mini-paroxysme était le combat contre la
bête. Cela crée un précédent
de paroxysmes en tant que victoires sur ces Choses,
quelles qu'elles soient. Et le suivant devra être
plus tendu que celui-là. Peut-être les
joueurs seront-ils assaillis par une meute de ces créatures
plus tard dans la soirée, et qu'ils devront fuir.
Leur fuite éventuelle vers un endroit sûr
peut être en soi un mini-paroxysme. Le nombre
pléthorique de créatures impliquées
dans cet assaut, tout comme l'aspect inattendu de ce
dernier, devrait faire de la fuite éperdue une
expérience bien plus riche en tension que tuer
une bête isolée. Notez bien que, du fait
du rôle du paroxysme comme sommet de la tension
à long terme, cela provoque toujours une chute
des deux sortes de la tension une fois l'action résolue.
En fait, plus
les niveaux montent et nos scènes deviennent
tendues, plus il y a besoin de cet relâchement.
Si la tension, particulièrement à court
terme, monte très rapidement, sa descente est
généralement tout aussi rapide. Cette
chute peut être atteinte à l'aide de paroxysmes,
ou un passage à des événements
moins tendus, ou à une combinaison des deux,
comme ci-dessus. La tension à long terme est,
comme on pouvait le prévoir, plus lente à
monter mais (idéalement) ne retombe qu'après
les mini-paroxysmes, comme ci-dessus, ou durant de grands
moments de calme dans l'action. Ces élévations
et ces chutes naturelles sont l'idée maîtresse
à la base de l'application des arcs de tension
dans la conception d'aventures : soyez conscient
du point où vous en êtes, du point à
atteindre et du point où s'arrêter tant
que la tension est en jeu, et le reste viendra naturellement.
L'arc de tension est un outil que vous, le concepteur,
vous devez utiliser en prenant en compte les effets
des éléments de votre aventure sur vos
joueurs et leur personnage. C'est un excellent moyen
de planiier le rythme et le ton de votre partie et de
modifier l'ordre et l'intensité des événements
qui s'y produisent pour convenir aux niveaux de tension
que vous voulez instaurer.
Et
maintenant, tous ensemble...
L'organigramme
et l'arc de tension fonctionnent mieux lorsqu'ils sont
utilisés ensemble. D'un point de vue idéal,
l'arc vous aide à identifier et contrôler
les niveaux de tension qui dirigent une aventure, vous
autorisant ainsi à manipuler les éléments
de votre partie pour obtenir l'effet le plus fort sur
le ton. L'organigramme maintient les choses en perspective,
en arrangeant les événements de votre
partie pour qu'ils aient une cohérence et fonctionnent
les uns avec les autres, créant une intrigue
bien équilibrée. Dans l'autre sens, l'arc
de tension peut être utilisé pour donner
des directions et conduire l'organigramme lorsqu'il
est trop général ou trop vague. Par exemple,
augmenter les niveaux de tension pour des événements
structurellement importants rendra les joueurs plus
conscients de ceux-ci, et augmenter la pression sur
le groupe pendant une scène ouverte empêchera
une partie de s'enliser. Enfin, les deux structures
peuvent être mises en opposition l'une à
l'autre pour créer des situations qui, quoique
peut-être inattendues, peuvent grandement apporter
à votre partie.
Dans l'exemple
ci-dessus, nous avions créé une série
d'événements en ayant en tête un
arc de tension. Nous aboutissions à ce qui pouvait
être une histoire passionnante, mais il était
prêté peu d'attention à la logique
et aux conséquences de leurs actions. Par exemple,
après le combat, lorsque les niveaux de tension
retombent, les personnages seront probablement pressés
de quitter les lieux, car le bruit du combat pourrait
attirer les forces de l'ordre et les rendre très
suspects. Dès lors, tout objet utile à
l'intrigue et placé dans la maison devrait idéalement
être trouvé avant que le combat ne commence.
Mais s'il ne l'est pas, l'organigramme nous informe
que les joueurs devront revenir. Si nous pouvons leur
fournir assez de mobiles pour qu'ils le fassent, nous
pouvons créer une autre scène tournant
autour du retour des joueurs à la maison ?
des représailles de l'horreur qui augmentent
de manière significative la tension à
long terme. Notre scénario original, qui ne comprenait
à l'origine qu'une scène créée
pour donner aux joueurs un premier aperçu des
méchants, s'est étendue à une scène
pleine de tension qui non seulement colle thématiquement
à la partie et crée de grands moments
dramatiques, mais également bouche un trou de
l'intrigue.
Vous voyez comment
nous sommes en train de combiner les deux structures
pour créer une séquence efficace, et pourtant
cohérente, à partir des événements.
Les arcs de tension et les organigrammes peuvent tous
deux être appliqués aux aventures entières
pour identifier les problèmes ou les chaînes
d'événements inappropriées (du
point de vue de la logique ou de l'action) qui n'apparaissent
pas lorsqu'une aventure est vue morceau par morceau.
Enfin, la combinaison des deux structures peut résulter
en des scènes et événements spontanés
qui n'avaient jamais été prévus
lors de la conception originelle.
En
conclusion
Le jeu de rôle
a souvent été décrit comme une
sorte de jeu théâtral hybride. Cette analogie
présente généralement les joueurs
comme les "acteurs" et le MJ comme le "metteur
en scène" de l'?uvre ? ce qui est une
métaphore adéquate. Toutefois, de nombreux
rôlistes tendent à oublier qu'il y a une
troisième personne impliquée dans la création
théâtrale : l'auteur, dont le travail
joint celui des acteurs et du metteur en scène
pour produire le même produit principal. J'ai
essayé d'aborder les principes de ce que j'estime
être l'"écriture" du jeu de rôle ?
la conception de scénario. Tout comme les acteurs
et les metteurs en scène peuvent improviser sans
script, un groupe de jeu de rôle peut jouer sans
histoire du tout. Néanmoins, je crois que dans
les deux cas, les meilleures ?uvres ne peuvent être
créées que quand l'auteur est au meilleur
de sa forme.
Dans mon interprétation
(partiale, je l'admets) de la nature de la conception
d'une partie, j'ai parlé de cet art de l'"écriture"
dans des termes de création d'intrigue. Dans
le premier
article,
nous avons examiné les éléments
de base d'une intrigue ? l'accroche, le paroxysme
et le corps de l'aventure. L'idée, à l'origine,
était de s'interroger sur l'?uvre que nous créions.
Sert-elle un but ? Peut-elle être plus efficace ?
Dans cet article, j'ai examiné de plus près
la manière dont ces éléments sont
liés les uns aux autres. En créant l'organigramme
de tension et l'arc de tension, nous avons créé
de nouvelles questions à poser à propos
de notre partie : a-t-elle un sens ? Provoque-t-elle
la bonne quantité de tension ? Se rattache-t-elle
correctement aux autres éléments ?
Ou, pour dire les choses plus simplement : nous
nous demandons d'abord comment faire chanter le mieux
chaque scène, avant de nous demander comment
mettre ces harmonies séquentiellement les unes
avec les autres pour créer la meilleure chanson.
Mais concevoir
une aventure, ce n'est pas vraiment se poser ces trois
questions. Ce n'est pas même y répondre.
C'est jouer sur ces réponses. C'est prendre les
réponses, et vos idées, mettre la main
à la plume et produire quelque chose que les
gens pourront jouer. Plus important encore, c'est prendre
cette conception, et vraiment la jouer. Comme une pièce
de théâtre, un scénario n'est rien
s'il n'est pas joué. La conception de scénario,
c'est créer quelque chose destiné à
être joué, puis le jouer, et y prendre
plaisir, et créer quelque chose de spécial,
quelque chose dont vous pourrez raconter des anecdotes
des années après. C'est créer une
expérience mémorable pour tous ceux qui
y prennent part. J'espère que cet article vous
aura quelque part aidé ou motivé pour
faire exactement cela. |