Cet article parle de la tâche ardue qu'est
la conception d'aventures. J'insisterais sur le fait
que nous allons traiter de la conception de scénarios
pour un usage privé uniquement, et non pas en
vue d'une distribution commerciale. Plus précisément,
dans cet article, nous observerons un processus de création
complet, au cours duquel nous créerons un produit
de A à Z, en donnant les grandes lignes des événements
et de tous les éléments majeurs de l'aventure.
De la sorte, la tâche du MJ consistera à
adapter l'intrigue aux actions des joueurs, plutôt
que de l'inventer ex nihilo. Cet article est
destiné aux personnes qui créent des scénarios
(ou voudraient bien essayer), mais qui ne sont pas sûres
de savoir par où commencer, ou de savoir ce qui
constitue précisément une bonne aventure.
Il peut également s'avérer utile aux joueurs
qui ont déjà fait l'expérience
de la création de scénario, et qui ont
des problèmes spécifiques, soit dans la
construction, soit dans la mise en ?uvre de leurs parties.
Cette première partie s'intéressera
au différents éléments qui constituent
une partie réussie, et nous verrons comment le
fait de se donner du mal pour vraiment créer
un bon scénario peut rendre la maîtrise
plus facile, tout en rendant les parties plus attirantes.
Plus spécifiquement, nous nous intéresserons
à l'idée qui est au c?ur de vos parties :
la conceptualisation. Puis nous couvrirons l'ensemble
de l'aventure, que nous pouvons diviser en plusieurs
éléments : accroches, paroxysmes
et scènes. Dans la seconde partie de cet article,
nous nous efforcerons d'employer ces concepts au maximum
de leurs possibilités.
La conception
Tous les bons scénarios devraient avoir un
objectif très clair : divertir les joueurs
et le MJ. Je dis cela parce qu'il est facile de se laisser
absorber par l'univers et par l'histoire que vous créez,
et d'oublier que les joueurs et le MJ sont là
pour s'amuser. Cela ne sert à rien de créer
un scénario politique immense et complexe si
vous ne parvenez pas à trouver un angle d'approche
intéressant (ou si vous n'avez pas de joueurs
qui puissent le faire) pour utiliser un tel concept.
Mais en plus du divertissement, tous les scénarios
devraient également avoir un objectif thématique.
Ce dernier prend la plupart du temps la forme d'un court
énoncé ou d'une question : aussi
simple que "le bien triomphe de toutes les difficultés",
ou aussi complexe que "sommes-nous vraiment importants
au niveau cosmique ?" La conception est le
moment où vous choisissez votre énoncé
thématique, et où vous réfléchissez
à la manière de le présenter. À
la fin de cette étape, vous aurez formé
dans votre esprit le squelette de base de ce que sera
votre scénario. Un exemple très simple
de conception réussie pourrait ressembler à
quelque chose comme ça : les personnages
se voient contraints, au fur et à mesure de l'aventure,
de sacrifier à la fois leur sécurité,
leurs biens, leurs compagnons, et, pour finir, leur
propre vie pour vaincre une incarnation du mal absolu.
Au final, les personnages se posent cette question :
"les besoins de la majorité sont-ils plus
importants que les besoins d'une poignée de personnes ?"
La conception vous donne un objet sur lequel vous
concentrer pendant que vous créez votre scénario,
préservant votre intérêt et vous
aidant à trouver des directions. Elle sert à
empêcher votre aventure de devenir un jeu de massacre
joyeux et gratuit ou un scénario ennuyeux que
l'on peut finir "les doigts dans le nez".
Si tout va bien, les joueurs devraient terminer la partie
soit en ayant perçu l'énoncé à
travers leurs expériences en cours de partie,
soit en ayant répondu, par leurs actions, à
la question soulevée par votre scénario.
Bien sûr, tous les groupes n'agissent pas ainsi,
et vous ne devriez pas vous en vouloir si les joueurs
ignorent purement et simplement votre problématique
et fôlatrent dans votre scénario juste
pour le plaisir. Ce que fait la conceptualisation, c'est
fournir un élément supplémentaire
à vos aventures sous forme de thème, qui
pourrait intéresser vos joueurs. Si cela n'est
pas le cas, la conceptualisation est quand même
vitale en tant qu'outil de création et en tant
qu'orientation. Cette orientation est souvent le
but principal de la plupart des conceptions.
Une conceptualisation vous permettra de vous concentrer
sur la sorte de partie précise que vous voulez
maîtriser. Trop de scénarios et d'aventures
du commerce essayent d'être tout à la fois
pour attirer tous les joueurs du monde. Il n'y a pas
meilleur moyen d'échouer que d'essayer de plaire
à tout le monde. Une fois que vous avez un concept,
il est beaucoup plus facile pour vous de vous engager
avec un univers et un système de jeu pour l'utiliser,
éléments qui influencent beaucoup le type
de scénarios qui en découlera. Mettons
par exemple que vous ayez un concept centré sur
l'idée que les gens sont plus forts ensemble
que seuls. Un jeu d'horreur qui illustre la peur et
l'impuissance des personnages lorsqu'ils se retrouvent
livrés à eux-mêmes pourrait bien
être ce que vous recherchez. À l'opposé,
un jeu de super-héros dans lequel les personnages
sont souvent des individus très puissants et
ont l'habitude d'affronter de terribles épreuves,
pourrait ne pas être l'univers le plus adéquat
pour ce concept.
Pour résumer, un concept est essentiel dans
tout procédé créatif, et peut vous
aider à concentrer vos efforts sur ce à
quoi vous vous voulez que votre partie aboutisse. Il
fournit également une dimension supplémentaire,
celle d'un thème à explorer par les joueurs
si les aspects originels (l'amusement et les hauts-faits,
dans la plupart des parties) deviennent trop limités.
Du point A au point B
Un jour, j'ai entendu une phrase très utile
prononcée par un créateur de scénarios
de tournois avec qui je jouais : "Tout ce
dont j'ai besoin, c'est d'un point A, d'un point B,
et la croyance farouche que je peux faire aller [les
joueurs] de l'un à l'autre." Quoique je
préfère personnellement me préparer
un peu mieux pour maîtriser, cet énoncé
est fondamentalement vrai. Pour créer un bon
scénario, vous ne devez graver que deux choses
dans le marbre : l'accroche et le paroxysme.
L'accroche, point A, est l'événement
qui débute l'aventure, qui "fait mordre"
les joueurs à la partie. Si votre appât
est trop gros et trop voyant, vos joueurs auront l'impression
de ne pas avoir eu le choix, et s'il est minuscule et
trop subtil, les joueurs ne le verront pas et prendront
une toute autre direction. L'accroche est souvent le
premier événement de l'histoire, bien
qu'elle puisse arriver assez tard, jusqu'à 10
à 15 minutes après le début (mais
là, c'est abuser un peu de la patience des joueurs).
Certaines personnes aiment bien omettre l'accroche et
employer une technique appelée "in media
res" pour projeter les joueurs au beau milieu de
l'action. Cette technique ayant été décrite
plus en détail auparavant dans PTGPTB, accompagnée
d'autres structures de départ possibles, mes
conseils sur l'accroche seront donc brefs.
Ce qui compte le plus, c'est de vous assurer que
l'accroche fonctionne. Cela peut paraître évident,
mais il n'y a rien de pire que le fait que vos joueurs
arrivent à éviter totalement l'aventure
que vous avez mis des jours et des jours à inventer.
L'accroche engage solidement les joueurs dans le flot
de l'intrigue ; ou leur fait une offre qu'ils seraient
vraiment stupides de refuser. Une idée
peut être de confiner les joueurs à une
zone géographique (une vallée, un immeuble,
etc.) au moyen de votre accroche, spécialement
si vous débutez et que vous avez peur de les
perdre. Vous pouvez aboutir à ce résultat
en invoquant la main de Dieu (le défilé
de la vallée est bloqué par la neige après
le passage des joueurs), ou simplement en en faisant
une partie intégrante de l'aventure (les joueurs
sont capturés par les pirates au début,
et doivent passer le reste de l'aventure à tenter
de s'enfuir du bateau). Notez que certains joueurs peuvent
ne pas aimer cela du tout ; si vous suspectez ou
savez par avance qu'ils n'aiment pas être limités,
vous feriez probablement mieux d'utiliser des méthodes
plus subtiles.
Le point B est, bien évidemment, le paroxysme.
Le paroxysme est le moment le plus important de votre
scénario. C'est le moment où l'action
est à son apogée (émotionnelle,
physique, ou les deux à la fois), et où
l'énoncé ou la question de votre conception
est formulé. Le paroxysme est là pour
permettre la catharsis et amener la conclusion et, en
tant que telle, elle devient essentielle à la
fois pour vous et pour vos joueurs. Généralement,
le paroxysme d'une aventure présentera au personnage
un choix simple, et/ou une tâche à accomplir.
C'est le moment où les joueurs prennent leurs
décisions finales, qui détermineront ensuite
l'issue de l'aventure. S'il est bien conçu, le
paroxysme sera la partie de l'aventure dont vous entendrez
des anecdotes. Comme il laisse une telle impression
durables, c'est probablement une bonne idée de
traiter le paroxysme avec plus de détails que
n'importe quel autre élément de votre
aventure. J'ai réuni ici quelques conseils pour
vous aider à créer un paroxysme efficace.
Bien entendu, le paroxysme revêt tellement de
formes et d'aspects que ce qui suit ne peut inévitablement
être que de grandes lignes basées sur mon
expérience personnelle, qui ne conviendront peut-être
pas à tous les lecteurs.
Le paroxysme définit votre partie et lui donne
son esprit et son objectif ; il demande donc plus
de contenu ? et d'originalité ? que
la simple idée venue des jeux vidéos consistant
à atteindre la fin du niveau et de tuer ce qui
se trouve là. Les joueurs ne devraient pas sortir
du paroxysme en disant "j'aurais pu dès
le début te dire que ça allait arriver".
Des concepts usés jusqu'à la trame, comme
celui de la partie du style "tuer le boss"
mentionnée ci-dessus, sont faciles à mettre
en ?uvre, mais peuvent laisser vos joueurs sur leur
faim. Si vous utilisez quand même la mort d'un
adversaire majeur pour finir la partie, essayez de créer
une sorte d'ambiguïté morale pour épicer
un peu la situation. Un paroxysme devrait présenter
un choix, pas une inéluctabilité. Un paroxysme
au cours duquel les joueurs perdent le contrôle
de leur personnage les rend frustrés et mécontents.
Un paroxysme où le choix est évident et
superficiel (par exemple tuer ou non le méchant)
a le même effet. Une manière d'empêcher
cela d'arriver consiste simplement à regarder
les solutions "faciles" et à les éliminer.
Avoir une intrigue au paroxysme prévisible est
possible, à la condition qu'une fois ce paroxysme
atteint, aucune des possibilités d'action prévisibles
ne soient disponibles pour les joueurs.
Ne faites pas dépendre votre paroxysme d'un
jet de dés. Même si les dés sont
un élément important du jeu, ce sont les
personnages et ceux qui les jouent qui sont au centre,
pas le système de jeu. Beaucoup de MJ n'aiment
pas truquer les dés à ce moment-là
du jeu. Évidemment, les joueurs ne devraient
pas sentir qu'ils réussiront toujours, mais ils
détesteront finir une partie en ayant fait tous
les bons choix, tout en faisant un mauvais jet de dés
à la fin. Attendez-vous à ces mauvais
jets, et soyez prêt à les compenser. Une
méthode utile consiste à ne pas lancer
de dés pour résoudre des actions qui n'ajoutent
rien au jeu. En règle générale,
à moins que l'action implique directement une
compétence importante du joueur, on supposera
qu'elle réussira sans faire de jet. Le manque
de jets de dés peut être compensé
par des descriptions plus vivantes de la situation.
Le paroxysme est un élément qui doit
absolument exister ; prévoyez donc des événements
naturels qui y mèneront. Même si les joueurs
sortent du chemin balisé et ratent la moitié
de l'aventure, vous devez vous assurer qu'ils parviendront
jusqu'au paroxysme et résoudront le scénario.
S'il doit y avoir des événements et des
décisions hors-jeu pour atteindre le paroxysme,
il se pourrait que vous deviez songer à re-concevoir
l'événement ou la scène au cours
de laquelle les éléments hors-jeu gênent.
Un paroxysme doit être l'accumulation naturelle
de la tension et l'exaltation, conduite à sa
résolution par des événements logiques ?
et non pas simplement quelque chose rajouté à
la fin d'un gros combat.
Enfin, faites toujours en sorte de terminer par un
feu d'artifice, et pas par un pétard mouillé.
Si votre paroxysme est banal, ordinaire et pas original,
les mêmes adjectifs s'appliqueront à votre
aventure toute entière. N'ayez pas peur d'être
spectaculaire et excessif, l'esprit critique est souvent
mis de côté au paroxysme, alors n'hésitez
pas à faire fi de toute limite. C'est le moment
que les joueurs et le MJ attendaient depuis Dieu sait
combien de temps, faites en sorte qu'il en vaille la
peine. Et pas seulement au niveau du spectacle, au niveau
de l'investissement émotionnel aussi. Pour emprunter
une expression à une pièce de théâtre,
"à vaincre sans péril, on triomphe
sans gloire" : augmentez les enjeux. La Vie
et la Mort, la fin du monde tel que nous le connaissons,
tout doit dépendre de ces instants ultimes.
Une fois le paroxysme terminé, les joueurs
ne devraient plus rien avoir à faire. Vous pourrez,
si vous le souhaitez, leur faire un débriefing
à propos des conséquences de leurs choix
et de leurs actions, ou les laisser jouer cette partie,
ou peut-être organiser un dénouement impliquant
directement les joueurs mais où aucune action
des PJ n'aura lieu (par exemple demander à chaque
membre de l'équipage d'enregistrer son journal
personnel pour conclure l'aventure dans une partie de
Star Trek). Le paroxysme est la fin, tout ce
qui se passe après le paroxysme ne peut être
qu'ordinaire. Si les joueurs passent trop de temps sur
ces choses ordinaires, l'impact du paroxysme sera perdu ;
faites donc en sorte que le rideau tombe rapidement
une fois que la situation se sera calmée.
Comme toute autre ?uvre littéraire ou théâtrale,
le début et la fin sont capitaux, les négliger
peut être désastreux. Mais faites ces deux
parties avec soin, et tout le reste suivra.
Les autres scènes
Vous avez un début, et vous avez une fin.
Un MJ doué peut arriver (et arrive assez souvent)
à une séance avec seulement ces éléments,
et exercer sa magie. Toutefois, comme nous créons
une aventure complète, nous devons observer de
plus près le reste des éléments
qui constituent un scénario.
Les autres éléments sont toutes les
scènes et tous les événements qui
ont lieu entre l'accroche et le paroxysme ? la
vraie substance de votre partie. Elles servent plusieurs
buts : augmenter la tension, fournir des obstacles
aux joueurs, faire entrevoir le paroxysme et faire entrer
les joueurs dans le jeu. Plus important encore, ces
autres éléments devraient rendre les joueurs
soucieux de l'issue du paroxysme. J'esquisserai comment
chacun de ces buts sera atteint avant de continuer sur
la mise en exécution générale des
autres scènes. Soyez conscient que tous ces buts
se chevauchent beaucoup : les obstacles peuvent
mener à la tension, et entrevoir le paroxysme
peut rendre les joueurs soucieux de son résultat,
etc. Je les ai juste séparés pour les
rendre plus simples à analyser.
Les scènes qui augmentent la tension :
La tension est dure à apporter, à la fois
avant et pendant le scénario, mais elle est très
importante. Il y a un paroxysme pour relâcher
la tension quand elle est à son apogée ;
sans tension, le paroxysme devient plat et ennuyeux.
Bien sûr, qui dit différents jeux dit différents
niveaux de tension, et ces jeux doivent faire des choses
différentes pour renforcer cette tension. Les
jeux d'horreur et de conspirations accroissent la tension
en révélant lentement des détails
aux joueurs jusqu'à ce que l'horrible vérité
devienne apparente. Tomber sur les corps massacrés
de victimes et découvrir la terrifiante réalité
de ce qui arrivera si les joueurs échouent sont
des éléments communs qui injectent de
la tension dans la partie. Un jeu plus guerrier construira
sa tension sur plein de combats se déroulant
à toute allure, des pièges mortels, et
un rythme qui ne laisse pas respirer les joueurs. Les
jeux de science-fiction et de fantasy créent
souvent une tension en mettant les personnages dans
des circonstances inhabituelles. Dans de tels jeux,
les événements les plus anodins peuvent
accroître la tension. Par exemple, mettre en scène
une descente de police, ou bien les faire capturer par
un dragon (et créer une description vivante de
cette scène) peut accroître la tension,
même si cet événement n'aurait rien
d'exceptionnel dans l'univers du jeu. Un dernier candidat
ici est représenté par le type de scénario
qui fonctionne entièrement à un niveau
interpersonnel, où les conflits et les paroxysmes
sont dictés par les personnages et leurs personnalités.
Dans ce cas, la tension repose sur des événements
qui déclenchent des conflits intérieurs
ou entre personnages ; elle dépend non pas
de l'événement lui-même, mais de
la réaction des joueurs face à lui. Si
vous créez un scénario de ce type, vous
travaillez probablement avec des personnages prétirés ;
la nature de ces personnages suggérera la bonne
sorte d'événements à incorporer
pour accroître la tension.
Les scènes qui fournissent des obstacles :
Elles peuvent être aussi simples qu'une porte
gardée, ou aussi compliquées qu'un système
politique corrompu cherchant à réduire
au silence les personnages ; quoi qu'il en soit,
les scènes et les événements qui
créent des obstacles que les joueurs doivent
franchir pour parvenir au paroxysme sont d'une importance
capitale. Si les joueurs ne font que se promener tout
au long du scénario, il n'y aura pas d'impression
d'exploit au paroxysme, ou après. S'assurer que
chaque personnage sente qu'il a franchi une limite personnelle
ou une limite de l'univers de jeu est vital pour garder
l'intérêt des joueurs et les empêcher
d'abandonner le jeu par ennui ou par frustration. Les
difficultés à découvrir les informations
jouent bien ce rôle dans beaucoup de jeux d'horreur
et de conspiration, tandis que battre des ennemis suffit
pour des jeux orientés vers l'action, et que
résoudre des conflits personnels ou interpersonnels
est un obstacle dans les jeux riches en profondeur psychologique
des personnages.
Scènes d'annonce : Ces scènes
sont essentiellement des signes de la décision
que les joueurs auront à prendre ou de la tâche
qu'ils devront accomplir lors du paroxysme de l'histoire.
L'événement est ainsi attendu par les
joueurs, ce qui les rendra plus conscients de son importance
lorsqu'il surviendra. Ces événements prendront
le plus souvent la forme de mini-paroxysmes (c'est-à-dire
trouver le suspect principal, vaincre le bras droit
du méchant, etc.). Cela inclut également
les événements qui orientent précisément
les joueurs dans la bonne direction, comme la découverte
de preuves, ou l'ordre d'enquêter sur quelque
chose. Les scènes d'annonce ne sont pas toujours
appropriées, tout particulièrement dans
les one-shot ou les parties courtes, mais il
fallait les mentionner car elles tendent à donner
de la cohésion aux aventures plus longues.
Scènes qui font croire à l'incroyable :
Les événements dans une partie de jeu
de rôle moyenne ne manquent pas d'être extraordinaires,
et tout spécialement au moment du paroxysme.
On invoque des monstres extraterrestres, on vainc des
dragons, et le sort de galaxies entières s'y
joue. Un joueur ne va tout simplement pas croire aux
événements à l'apogée de
l'histoire si on ne l'a pas petit à petit introduit
aux circonstances et au décor extraordinaires.
Cela a aussi pour effet supplémentaire d'obliger
le joueur à penser comme son personnage, ce qui
est quelque chose qui rend ses actions plus faciles
à prévoir, et plus faciles à gérer
pour le MJ, tout en augmentant le plaisir qu'il prendra
au jeu. Les scènes qui font croire à l'incroyable
sont souvent données sous la forme d'un récit
du MJ ou de l'interaction avec les PNJ, la dernière
forme étant la meilleure pour une immersion maximale
du joueur. Les personnages non-joueurs hauts en couleurs,
avec leur style, leur background et leurs objectifs
propres et particuliers, aident les joueurs à
les identifier et à s'impliquer dans la partie
(est-ce qu'on en aurait eu quelque chose à faire
de la conquête de Naboo par la Fédération
si nous n'avions jamais croisé Jar Jar Binks ?).
Même des personnages sans aucune profondeur comme
"le tavernier" sont utiles, et peuvent être
rendus plus intéressants avec quelques détails
simples (ex : le tavernier manchot qui a perdu
sa femme à cause des elfes). Faire croire aux
joueurs qu'ils font partie d'un monde indépendant
et vivant où personne n'est qu'un accessoire,
voilà ce qui peut être la clef pour briser
la barrière entre la perception du personnage
et celle du joueur.
Impliquer les joueurs : Un problème
se retrouvant dans beaucoup de groupes, qu'ils soient
récents ou non, est qu'ils ne se sentent pas
particulièrement concernés par le résultat
de la séance. S'amuser les intéresse bien
plus et, si cela doit entraîner la mise à
la corbeille de votre partie, c'est sans doute précisément
ce qu'ils vont faire. Votre but principal entre le début
et la fin de votre partie est donc de convaincre que
le tout a un peu de valeur, et que cela vaut probablement
le coup de le faire. Le moyen le plus simple d'y arriver,
c'est d'utiliser le fait que même les joueurs
les plus destructeurs s'identifient avec leur personnage.
Ainsi donc, jouer vos scènes pour impliquer inextricablement
et fortement les personnages aura le même effet
sur vos joueurs. C'est une bonne idée de travailler
sur cela avec les conventions du genre : si les
joueurs sentent eux aussi qu'il est approprié
thématiquement pour eux de faire quelque chose,
les chances pour qu'ils le fassent effectivement sont
beaucoup plus élevées.
Les scènes dans le détail
Jusqu'ici, nous avons observé les scènes
des aventures en termes et objectifs abstraits, mais
il me faut encore expliquer précisément
ce qu'est une des "autres scènes".
Eh bien, une scène s'apparente à une mini-aventure,
et donc implique généralement un événement
perturbateur, une situation, et une ou plusieurs solutions.
C'est là que beaucoup d'aventures disponibles
dans le commerce deviennent problématiques. Elles
créent des scènes trop rigides, qui réclament
des actions précises de la part des joueurs,
ou qui sont trop dépendantes des événements
précédents pour pouvoir bien fonctionner.
Les scènes ont plus ou moins en elles les
composants mêmes de l'action. Une scène
peut avoir des liens indirects avec d'autres scènes,
mais elle fonctionne essentiellement comme une partie
courte et autonome. Chacune a une accroche rapide, qui
mène ensuite à une situation et une résolution.
Si les joueurs ne mordent pas à l'hameçon,
la situation se résout comme elle le ferait normalement
sans eux. Toutefois, si les joueurs sont impliqués,
ils sont précipités dans la situation,
et ont l'opportunité de soutenir, empêcher
ou changer la situation d'une autre manière de
sorte qu'une résolution différente soit
atteinte. Cela arrive à chaque partie, vous êtes
donc évidemment familier avec ce genre de choses.
Ce que nous cherchons à faire dans ce cas-là,
c'est tourner ces éléments d'une manière
qui soit assez définie pour conduire l'action
dans la direction que nous voulons explorer, mais qui
ne limite pas le choix des joueurs en les aiguillant
dans un schéma d'action prédéfini.
L'idée ne doit pas être trop spécifique.
Nous pouvons avoir des objectifs que nous cherchons
à atteindre, des scènes que nous essayons
de provoquer, mais nous devrions pouvoir arriver à
cela au moyen d'un nombre de chemins non limités.
Je vais donner un exemple pour illustrer cela. Mettons
que les joueurs soient arrivés récemment
dans une petite ville, et qu'ils essayent pour l'instant
de localiser quelqu'un dont ils ont la description physique,
mais à propos duquel ils ne connaissent aucun
détail utile ou fiable. Maintenant, vous pouvez
avoir décidé que cette personne va être
la dernière d'une série de prisonniers
capturés par le culte du coin, qui se camoufle
sous l'apparence d'une religion et a une grande influence
sur les villageois. Mettre au grand jour ce culte corrompu,
ou au moins délivrer quelques-uns de ses membres,
sera probablement un des obstacles de cette partie de
l'aventure. Notez qu'il y a une division nette entre
qui les joueurs pensent poursuivre et ce qu'ils vont
effectivement faire si tout se passe bien. Garder les
joueurs dans l'ignorance à propos de certains
des éléments est une bonne technique pour
maintenir un haut niveau d'intérêt. Il
n'y a rien de tel que des obstacles totalement imprévus
pour calmer un groupe et obtenir son attention.
Pour en revenir à notre exemple, nous faisons
assister les joueurs à un sermon prononcé
dans le temple du mal (à l'aide d'un appât,
bien entendu ? piété, invitation
cordiale, ou juste pour draguer quelques jeunes prêtresses
sexy). Ils assistent à la cérémonie,
et voient le grand prêtre lancer quelques illusions
astucieuses pour convaincre la populace qu'il invoque
un dieu. Puis il commence à condamner des gens
pour leurs "péchés" (c'est-à-dire
parce qu'ils ne font pas de dons au temple), et, finalement,
il fera emmener de force les condamnés pour les
mettre en relation avec leur moi spirituel. Bien sûr,
l'homme que les joueurs recherchent se trouvera parmi
ceux-ci (autre accroche).
Or, la plupart des groupes réagiront parfois
lors de cette complication pour stopper le déroulement
des événements. Ce qu'ils feront exactement
dépend d'eux. Peut-être feront-ils une
scène et se feront-ils sortir, pour se faire
contacter par la suite par le chef des véritables
prêtres devenus clandestins, ou bien décideront-ils
de retourner plus tard s'infiltrer dans le temple. Ou
ils pourraient décider d'essayer de discréditer
publiquement le temple. Leurs actions effectives, bien
entendu, ne peuvent (et ne devraient vraiment pas) être
prédites. Au lieu de cela, en tant que créateurs,
nous fournissons un panel d'options s'adaptant à
des solutions variées. Nous fournissons les caractéristiques
et les stratégies des gardes, de manière
à ce que le MJ soit prêt si un combat éclate,
nous détaillons la sécurité du
temple pour qu'il puisse être prêt si les
joueurs décident de s'infiltrer. Certaines des
solutions plus complexes, comme la discréditation
du temple aux yeux du public, peuvent former une suite
de scènes et impliquer de nombreux PNJ qui devront
être convaincus pour aider les joueurs. De cette
façon, le MJ a un grand choix d'options couvertes
et auxquelles il sera préparé.
La beauté de ce procédé, c'est
qu'il se diversifie tout seul. La conclusion d'une scène
est l'accroche de la suivante, et des scènes
entières peuvent purement et simplement être
les accroches de scènes plus grandes. C'est un
grand avantage pour nous autres, créateurs de
scénarios, car nous pouvons laisser l'histoire
se développer naturellement sans avoir à
nous préoccuper de soucis de continuité ?
amener les joueurs à la scène suivante
cesse d'être un problème. Néanmoins,
il n'y a qu'un seul paroxysme, et une aventure qui aurait
fourni tous les chemins y menant deviendrait extrêmement
complexe, tout particulièrement dans les longues
campagnes. Pour maintenir une sorte de contrôle
dans un scénario prolongé, vous pouvez
semer des mini-paroxysmes tout au long de l'aventure.
Les mini-paroxysmes fonctionnent exactement comme le
vrai : ils fournissent des points que les personnages
doivent atteindre, car tous les chemins y mènent.
De cette façon, chaque mini-paroxysme ramène
le groupe sur la route que nous avions prévue
pour lui, même si le chemin qu'ils avaient pris
pour arriver au paroxysme n'était pas obligatoirement
celui que nous avions prévu.
Pour réemployer l'exemple ci-dessus, un mini-paroxysme
peut être la rencontre théâtrale
des joueurs et du captif après que le temple
a été mis au grand jour. Même si
les joueurs ne se sont pas intéressés
au temple dans un premier temps, son discrédit
public fait beaucoup de bruit et, au minimum, offrira
une autre chance aux personnages de se couvrir de gloire,
de faire fortune, et de rencontrer de jeunes prêtresses
sexy. Peu importe ce qui arrivera d'autre, les joueurs
se trouveront toujours sur la route de cet événement,
et pourront donc découvrir leur objectif. À
partir de là, nous retombons sur la structure
en arborescence. Incidemment, ces mini-paroxysmes peuvent
constituer un excellent moyen pour annoncer le grand
paroxysme final de l'aventure (pourquoi notre homme
intéressait-il tant les grands prêtres ?).
En conclusion, les bonnes scènes utiles sont
structurées de la même façon que
le scénario principal, bien reliées aux
autres scènes et donnant aux joueurs le choix
et la liberté si importants dans notre loisir,
sans les laisser errer trop loin de l'aventure que nous
avons conçue.
Les éléments que nous avons soulignés
ici ? accroches, paroxysmes et scènes intermédiaires ?
sont les briques essentielles d'une aventure. Les relations
complexes qui se développent entre ces éléments
lors de la conception du scénario deviennent
beaucoup plus simples à manier quand nous pouvons
isoler chaque accroche, scène ou paroxysme. Nous
pouvons alors nous demander pour chaque élément :
"qu'apportera-t-il à mon scénario ?"
et "comment puis-je le rendre plus efficace ?".
Les réponses à ces questions sont cruciales
pour créer une aventure meilleure. Nous chercherons
à y répondre, ainsi qu'à d'autres
questions portant à la fois sur les composants
et sur les scénarios en général,
dans la dernière partie de cet article. |